En droit rural français, l’agriculture est définie comme une activité qui consiste en l’exploitation d’animaux ou de plantes dans le cycle biologique pour produire des aliments.
Cette définition montre une vision industrielle et extractive de l’agriculture qui n’est plus adaptée aux problèmes contemporains.
Dans ce contexte, l’adoption du statut « à mission » d’entreprise agricole peut permettre aux agriculteurs de mieux répondre aux attentes sociales et climatiques qui leur seront inévitablement imposées.
Atténuer les impacts agricoles négatifs
Le secteur agricole est au centre de nombreuses transformations difficiles à éviter.
Les enjeux climatiques et environnementaux croissants vont pousser le monde agricole à davantage prendre en compte cet ensemble de biens communs : l’eau, l’air, le sol et la biodiversité.
En France, l’agriculture est à l’origine de 21 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sous forme de méthane CH4 (45 %), de protoxyde d’azote N20 (42 %) et de dioxyde de carbone CO 2 (13 %).
L’impact de certains produits phytosanitaires est également néfaste pour la biodiversité, notamment les insecticides. La vitalité des sols et la préservation des ressources en eau sont les principaux enjeux du XXIe siècle pour le secteur agricole.
À l’ère de l’anthropocène
Le secteur agricole a donc besoin de réduire son impact négatif, ce qui doit être compris par la profession agricole, qui a fait de gros efforts ces vingt dernières années.
Mais il faudra plus que cette atténuation pour préparer l’agriculture française au nouveau régime climatique qui s’installe. Nous vivons une transformation géante de l’équilibre du système Terre, qui marque notre entrée dans l’ère de l’Anthropocène et a des conséquences très importantes et irréversibles pour l’agriculture.
Ce nouveau régime climatique a entraîné de nouveaux comportements des plantes et des animaux et il sera désormais plus difficile de maintenir le niveau de productivité que nous connaissions par le passé.
Comme le montrent les dernières données de Météo France, le secteur doit également faire face à une multiplication et une intensification des aléas climatiques (tempêtes, sécheresses, vagues de chaleur, etc.). Le dernier rapport du GIEC confirme en revanche les pertes colossales du secteur agricole qu’il faut recréer si l’on veut répondre aux besoins de sécurité alimentaire de la population.
Un profond renouvellement de nos savoirs et pratiques agricoles semble inéluctable. Les « fermes françaises », comme toute l’Europe du Sud, seront impactées négativement par le changement climatique.
Face à plusieurs impacts, la profession agricole doit apporter des réponses et penser des pistes d’adaptation dans un délai court.
Nourrir les humains, préserver le système Terre
Cette évolution a appelé une réponse sans précédent de la profession agricole.
Il nous invite à repenser les fondamentaux de l’activité agricole telle que nous la pensons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette vision est de produire des aliments au moindre coût en utilisant des combustibles fossiles.
Durant l’Anthropocène, l’agriculture doit se transformer et poursuivre le double objectif de nourrir l’homme, tout en maintenant l’équilibre des systèmes terrestres.
Cette double ambition, nourricière et réparatrice, implique de nouvelles pratiques agricoles susceptibles d’avoir un impact neutre à positif sur l’eau, l’air, les sols et la biodiversité.
Cette agriculture régénérative a été expérimentée par de nombreux acteurs dans le domaine de la permaculture, de l’agroforesterie, de l’agroécologie, de l’agriculture de conservation des sols…
Un nouveau statut pour ces nouvelles attentes
L’objectif d’une agriculture nourricière et réparatrice nécessite des évolutions institutionnelles et juridiques pour faciliter et accélérer son déploiement : le statut d’entreprise agricole « à mission » peut être un outil puissant à cet égard.
Nous définissons une entreprise à mission comme une entreprise qui, tout en ayant un projet économique, poursuit une ambition plus large de répondre aux besoins humains fondamentaux. Une entreprise avec une mission n’est pas guidée par l’objectif de profit économique, mais par sa contribution à un problème social ou environnemental plus large.
L’entreprise Sabarot basée en Haute-Loire a inscrit dans ses statuts sa volonté « d’accompagner la transition alimentaire en proposant une variété de produits naturels, bons et sains, notamment à base de protéines végétales, bénéfiques pour une alimentation durable ».
Ce statut est actuellement mobilisé par les PME, ETI et grandes entreprises ; elle prend tout son sens pour les entreprises agricoles, car elle a la possibilité d’avoir trois effets complémentaires.
En premier lieu, les entreprises agricoles à mission pourront bénéficier d’une source de financement plus rentable. Face au changement climatique, les financeurs et les prêteurs évalueront en effet la pertinence écologique des projets agricoles avec une attention accrue, en termes d’impact carbone et d’effets sur la biodiversité notamment.
En revanche, une entreprise agricole à mission peut lui permettre d’engager des négociations commerciales avec des producteurs agroalimentaires sur des objectifs et des ambitions qui valent mieux que de strictes considérations économiques. Les entreprises agricoles à mission sont le point de départ pour redéfinir les nouveaux enjeux de notre système alimentaire et partager les responsabilités entre les différents acteurs. C’est aussi un moyen de capter et de conserver la valeur des entreprises agricoles.
Ce statut peut enfin contribuer à redéfinir l’identité professionnelle en véhiculant un nouvel imaginaire et un avenir désirable pour la profession agricole. Nourrir les humains et réparer les systèmes terrestres sont des enjeux qui placent le métier d’agriculteur au cœur de la vie urbaine. Elle place le secteur agricole au centre des problèmes contemporains, faisant de l’agriculture non pas le problème, mais la solution pour répondre aux défis alimentaires de l’Anthropocène.
Bertrand Valiorgue publie en 2020 aux Éditions du Bord de l’eau, « Refonder l’agriculture à l’heure de l’Anthropocène ».