Après une fin décembre avec des températures anormalement élevées, la canicule se poursuivra début 2023. Une nouvelle manifestation du réchauffement climatique causée en grande partie par la consommation de charbon, de pétrole et de gaz.
République tchèque, Allemagne, Luxembourg, Pologne, Danemark, Allemagne, Lituanie, Liechtenstein, France… Des records mensuels de chaleur ont été enregistrés à travers l’Europe entre fin 2022 et début 2023. Un événement exceptionnel qui deviendra de plus en plus fréquent, avec le réchauffement climatique causé par notre consommation de charbon, de pétrole et de gaz et par la déforestation. « C’est le début du non-hiver. Si on continue sur cette pente, on risque qu’il n’y ait pas d’hiver en 2022-2023 », prévient Davide Faranda, climatologue au Laboratoire du climat et des sciences du climat, qui n’hésite pas à parler de « canicule hivernale ».
Franceinfo fait le point sur ces températures anormalement élevées.
Des records battus en France et en Europe
En France métropolitaine, le 31 décembre était le jour « avec la plus forte excursion thermique de l’année » dans une année déjà exceptionnelle, avec +8,4°C par rapport à la normale, rapporte Météo France.
De nombreux records mensuels ont été battus le 31 décembre et le 1er janvier. À Strasbourg (Bas-Rhin) il faisait 18,6 °C le soir du Nouvel An et à Besançon (Doubs) le premier jour de 2023. Dans le sud-ouest, le thermomètre dans les Landes a dépassé les 20 °C le 1er janvier. avec 24°C à Dax et 23°C à Biscarrosse. Les records de température minimale journalière (c’est-à-dire la barre en dessous de laquelle la température n’est pas descendue dans la journée) ont également été supprimés, à Paris (14,3°C le 31) ou à Lyon (14,5°C le 31).
En Europe, un nouveau record mensuel a été établi à Prague (République tchèque) avec 17,7 °C au 31 décembre, ainsi qu’à Berlin (17,9 °C, près de 2 °C au-dessus du précédent record de 1977) ou Luxembourg (15, 7 °C). En Allemagne, certaines stations ont même battu des records en décembre et en janvier : Berlin-Tempelhof, Dresde et Stuttgart.
Un phénomène classique dopé par le réchauffement climatique
La circulation atmosphérique à l’origine de cette vague de températures anormalement élevées est « tout à fait banale », a déclaré à franceinfo le climatologue Christophe Cassou. Le contexte est moins important. Les niveaux de température atteints sont « un marqueur du réchauffement climatique et donc de l’influence humaine » sur cette situation. « Le même vent océanique transporte aujourd’hui une plus grande quantité de chaleur vers le continent, ce qui entraîne des températures plus chaudes », poursuit le co-auteur du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Le chercheur ajoute que cet air, transporté vers le continent européen, « est plus chaud car les températures atlantiques sont inhabituellement chaudes » et que le phénomène s’auto-entretient en partie. « Le manque de neige au sol amplifie l’effet car il ne refroidit plus l’air marin atteignant le continent européen. C’est une boucle de rétroaction positive », explique-t-il. Un processus « connu, dont les effets et les conséquences sont parfaitement anticipés et documentés depuis plus de trente ans », glisse-t-il dans une référence à peine voilée aux récentes déclarations du président de la République.
Cette situation deviendra plus fréquente et intense avec l’augmentation du réchauffement climatique. « Presque tous les jours, nous avons des situations plus chaudes que la normale. Les mini vagues de froid comme en décembre se font de plus en plus rares », explique le climatologue Davide Faranda, qui et son équipe ont mis au point une nouvelle méthode pour relier les événements extrêmes au réchauffement climatique (voir l’article de la revue du CNRS ici). Si la variabilité naturelle du climat permet aujourd’hui des hivers plus froids que ceux que nous connaissons, « nous serons encore à ce niveau de température après 2050. De tels hivers seront normaux et il fera plus chaud. » Ce qui se passera ensuite dépendra du niveau d’émissions de gaz à effet de serre que nos sociétés continueront à rejeter dans l’atmosphère.
Des conséquences sur les écosystèmes, l’agriculture et les ressources en eau
En dehors des stations de ski, les effets de ces températures anormalement élevées sont moins évidents pour l’homme qu’en été. « C’est même agréable, tout le monde l’aime à -5°C », note Serge Zaka, agroclimatologue à l’ITK et administrateur de l’association Infoclimat. En période de crise énergétique, cela peut même permettre d’économiser sur les coûts de chauffage. Mais nous ne sommes pas « le nombril du monde », peste le scientifique : « Ces douceurs, qui durent depuis trois semaines, ont des conséquences comme les canicules estivales sur les écosystèmes et l’agriculture. »
Cette « fausse source » perturbe en fait la végétation. Alors que des plantes comme le blé dépendent de la longueur du jour pour déterminer la saison, d’autres, comme les pommiers ou les abricotiers, utilisent la température comme critère et commencent à pousser. Résultat : « Ces plantes seront bien mieux développées et plus sensibles aux dégâts s’il y a un gel en avril », prévoit Serge Zaka. En 2021, une telle configuration avait causé 4 milliards d’euros de dégâts aux vergers et aux vignobles.
Les températures élevées favorisent également la survie des ravageurs qui attaquent les cultures et augmentent la « pression des maladies ». « Tout cela, c’est une augmentation des coûts et des pertes, c’est-à-dire une augmentation du prix de la nourriture », taquine le climatologue agricole. Effet final : la diminution de l’enneigement pourrait poser un problème d’approvisionnement en eau au printemps sur fond de sécheresse persistante, notamment dans le sud-ouest. « Le manteau neigeux est une réserve d’eau qui se libère progressivement au printemps au fur et à mesure de sa fonte. Si cela se double d’une sécheresse en plaine, cela devient problématique », explique le scientifique.
Au-delà de l’agriculture, cette situation fragilise tous les écosystèmes déjà fragilisés par la crise de la biodiversité. « Le gel affectera les insectes sortis trop tôt et les arbres qui perdront fleurs et feuilles s’ils sont déjà affaiblis par la sécheresse. Il y a une souffrance silencieuse des écosystèmes », poursuit Serge Zaka. Bref, « il faut arrêter de dire que c’est sympa parce qu’on peut sortir en terrasse ».