Forte chaleur, absence de précipitations, faible débit des cours d’eau : comme les semaines passées, l’été en Corse joue les prolongations. L’ambiance hivernale n’y est pas, en dépit de journées qui raccourcissent. Le mercure devrait toutefois commencer à baisser un peu ces jours-ci
Comme chaque année, le dernier week-end d’octobre, la Corse est revenue dans la nuit du samedi au dimanche à l’heure d’hiver et aux courts après-midi. Le planning établi en 1976 est respecté.Au temps de Toussaint, les ambiances saisonnières, en revanche, ne sont pas au rendez-vous. L’été joue plus longtemps avec « des températures jusqu’à 6°C et 7°C au-dessus des normales certains jours d’octobre », commente Patrick Rébillout, responsable du centre météorologique corse.
Les dernières semaines ont été extrêmement fluides, au point de battre un record. « Octobre 2022 sera probablement le plus chaud jamais enregistré depuis le début des mesures avec une température moyenne de plus de 2°C au-dessus de la normale. Le précédent record avait été établi en octobre 2001 à +2,1 °C », poursuit le responsable.
L’épisode de chaleur intense et tardif s’inscrit également dans un contexte météorologique remarquable. Nous sommes dans la continuité d’une année 2022 très douce. « La chaleur a commencé vers le 1er mai. Hormis quelques interruptions en septembre lors des épisodes pluvieux, toutes les températures, tous les jours, sont au-dessus de la normale. Durant cette période entre le 1er mai et le 26 octobre, la moyenne est de 2,1°C au-dessus de la normale. Le record pour cela était en 2003, quand il faisait 1,6°C au-dessus de la normale. Nous sommes bien au-dessus. Oui, il fait très chaud », explique le météorologue.
Le phénomène découle d’une « situation de blocage ». Le statu quo atmosphérique appelle, selon les services de Météo-France, notamment, « une masse d’air chaud qui remonte de la péninsule ibérique sur l’ensemble du pays ».
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Quatre fois moins d’eau dans les rivières
Dans cette configuration à long terme, les températures élevées ne s’accompagnent d’aucune précipitation. Il ne pleut pas et cela devrait le rester jusqu’au premier week-end de novembre ou une perturbation pourrait bien amener « quelques gouttes. Mais cela reste à préciser », selon Météo-France.
« On a vraiment affaire à une année exceptionnelle de ce côté-là aussi. Il n’a pratiquement plus plu depuis le 1er janvier 2022. En moyenne, en Corse, on a eu 358mm de précipitations depuis cette date, ce qui correspond aux 55% attendus en normal et un déficit de 2 500 millions de m3 », observe le spécialiste. Antoine Orsini, hydrobiologiste, professeur à l’Université de Corse, s’alarme du faible débit des rivières insulaires, « quatre fois inférieur à la normale ».
Il y en a aussi de pires et de plus choquants. « Par exemple, les affluents de la Restonica se sont complètement asséchés. Il n’y a jamais eu autant de sauvetages de truites par la fédération de pêche que cette année », dit-il. Et parfois les poissons ont fait une puis deux rivières depuis leur première relocalisation. Selon lui, une étape importante a été franchie. « La situation hydrologique est passée du niveau cyclique au niveau structurel. Avec les conséquences du changement climatique, l’exception devient la règle. » Pour preuve, il pointe l’évolution observée depuis 1973. Et elle correspond à la période où l’on a le plus besoin d’eau.La raréfaction de la neige en hauteur et l’augmentation de la température de l’air expliquent aussi l’allongement de la durée de l’été. étiage », développe-t-il.
L’augmentation de la chaleur est un autre facteur à prendre en compte sur les rives des fleuves insulaires. « L’augmentation de la température de l’air et l’augmentation de l’évaporation, en relation avec le changement climatique, provoquent une diminution de l’eau disponible dans les rivières malgré un régime pluviométrique plus ou moins stable. Il tombe toujours à peu près huit milliards de m3 par an », explique-t-il.
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Novembre plus chaud que la normale
La recharge des eaux souterraines, qui a généralement lieu à l’automne, est un autre sujet d’actualité. Selon Patrick Rébillout, rien n’est encore décidé de ce point de vue. « Les mois de septembre et d’octobre avec peu de pluie ont été assez fréquents ces dernières années. En revanche, si novembre est sec, la situation deviendra très préoccupante. En novembre 2021, les pluies avaient été soutenues et nous étions bien au-dessus de la Normale. En Méditerranée il suffit parfois qu’il pleuve pendant quinze jours pour qu’une reprise se produise », analyse-t-il.
Du côté des températures, la tendance devrait se poursuivre dans les prochaines semaines. « Novembre devrait être plus chaud que la normale. Cependant, les valeurs seront inférieures à ce que nous vivons actuellement », poursuit le responsable du centre météorologique corse.
A Ajaccio, au plus fort de la journée, il devrait faire entre 20 et 23°C à partir de ces jours. La fraîcheur nocturne devrait, quant à elle, être également plus perceptible. « Les minimums seront beaucoup plus bas. Jusqu’à présent, elles ont oscillé autour de 16°C sur la côte. On descendra à 12°C, parfois à 14°C. On sort de l’épisode très chaud durant lequel les 30°C ont été atteints », souligne le responsable du centre météorologique corse.
Pour l’avenir, les météorologues privilégient « un scénario plus ou moins conforme à la climatologie en termes de températures et de précipitations ».
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Gare aux cyanobactéries
Les eaux stagnantes, les rivières peu profondes, sont propices au développement des cyanobactéries, « algues bleues », tout comme les barrages dont le niveau d’eau ne cesse de baisser sous l’effet de la sécheresse.
« La prolifération de ces micro-organismes dans les réservoirs des barrages est un vrai problème qui va s’aggraver au fil des années. Elle représente un danger pour les usagers de l’eau à usage domestique -eau potable- ou agricole, comme l’irrigation, l’abreuvement des animaux », prévient Antoine Orsini.
Un nouveau fléau parmi d’autres à l’heure où le changement climatique pousse à privilégier une autre forme de gestion de l’eau. De l’avis de l’hydrobiologiste, cela passe, par ordre de priorité, pour « l’économie d’eau, la réduction des pertes d’eau des réseaux, la généralisation de la micro-aspersion et du goutte-à-goutte ». Dans la panoplie apparaît alors « la réutilisation des eaux usées traitées pour l’agriculture irriguée et la recharge des eaux souterraines puis leur stockage avec des réservoirs collinaires ».
L’éducation du grand public, puis une nouvelle forme de gouvernance de l’eau à l’échelle territoriale, viendront compléter le dispositif.