[Enquête] Pays de Caux. (Trop) chaud les pommes de terre

La pomme de terre, « c’est un peu la vache laitière des cultures ». Le parallèle est fait par David Deprez, représentant de Seinomarin à l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). Très exigeante, l’exploitation du tubercule comporte aussi de nombreux impondérables, surtout la météo. Après un été 2021 très humide et au bord de la surproduction, les producteurs du Pays de Caux enregistrent un rendement moyen inférieur de 20 % à la récolte 2022, plombé par la sécheresse, « et surtout par la chaleur, car la pomme de terre le sol cesse de croître au-delà d’un certain seuil ».

Pas de risque de pénurie

Ce faible volume, s’il est global, varie au sein des régions et même au sein des exploitations. « Parfois on avait des orages très localisés sur certaines parcelles qui préservaient les récoltes », poursuit David Deprez. Selon Yves-Marie Rault, conseiller technique spécialisé à la chambre d’agriculture, la zone la plus touchée par la sécheresse se concentre en périphérie du Havre, près d’Octeville-sur-Mer ou de Goderville, avec des récoltes par endroits en baisse de 30 %. . . Plus que le nombre de tubercules à l’hectare, c’est le calibre des pommes de terre qui pose problème, les gros calibres étant beaucoup plus rares. A tel point que le Comité national interprofessionnel de la pomme de terre a abaissé de 5 mm les calibres requis pour la vente des pommes de terre pour frites. Certaines variétés présentent aussi des problèmes physiologiques, avec des peaux craquelées, fendues… « C’est du jamais vu, les anciens disent n’avoir jamais vu ça », raconte Jean-Baptiste Lecarpentier, agriculteur de 4e génération à Saint-Jouin-Bruneval. Elle cultive une dizaine de variétés dont 90% sont dédiées à l’export. « Après une année comme celle-ci, la résistance à la sécheresse est un critère qui va remonter en haut de la pile. »

« Il y aura des pommes de terre de qualité et en quantité suffisante », assure cependant David Deprez, selon qui le risque de pénurie n’est pas à l’ordre du jour de la France, grâce notamment à l’aide des régions irriguées, comme la Champagne ou le Bassin parisien. Côté porte-monnaie, attendez-vous à des « niveaux de prix élevés mais pas extravagants », selon l’agriculteur, qui préside également la section pomme de terre au sein du syndicat agricole FNSEA 76. Un « marché » sur la grande distribution et in fine un impact sur le consommateur, au final. de la chaîne. « Quand je vois des steaks de 2,5 kg à 2,50 € dans certains supermarchés, je suis un peu bluffé », poursuit David Deprez. C’est une tonne de pommes de terre à 1 000 €, « quand ça coûte 250 € ou 300 €. A l’export, Jean-Baptiste Lecarpentier pointe une hausse de 40% du prix de marché. « La sécheresse est européenne, avec une baisse générale de la production, ce qui nous fait un peu gagner », explique le producteur. Il sait cependant qu’il ne pourra pas rejoindre certains pays cette année, comme les Emirats. « A Dubaï, ils veulent avant tout une belle pomme de terre. »

Pour maintenir un prix correct, « le circuit court est primordial » selon Soudry

Face à la baisse des rendements en pomme de terre, comment les professionnels de la distribution s’adaptent-ils ?

Basée à Thiétreville, Soudry approvisionne les commerces et professionnels des Vergers de Provence. Il achète et commercialise environ 500 tonnes de pommes de terre par an, provenant de deux fermes locales. Entretien avec François Mouterde (à droite sur la photo), co-réalisateur avec Yves Hazard.

La récolte impacte-t-elle votre activité ?

Nous habituons maintenant les clients à des pommes de terre de plus petite taille. Mais il n’y a pas de risque de rupture, les producteurs gardent les volumes dont nous avons besoin.

La clientèle va-t-elle payer plus cher ?

Nous ne répercutons pas le prix sur le consommateur. Nous adoucissons nos prix dans notre gamme globale. Par exemple, la pomme de terre vaut plus, mais la pomme moins. Le circuit court est indispensable, notamment pour économiser sur le transport. Les fluctuations restent marginales si l’on compare, par exemple, le prix de la tomate, qui peut fluctuer entre 500 € et 3 000 € la tonne. En pomme de terre nous sommes à plus de 150 à 400 € la tonne.

Comment évolue la consommation ?

Aujourd’hui il faut autant de variétés que de plats cuisinés ! Mais les supermarchés ont banalisé les pommes de terre en les vendant à des prix dérisoires. Cela a nui à l’image de ce tubercule qui est devenu un produit auquel il nous est difficile de valoriser. Nous mettons en avant le label HVE3 (Haute Valeur Environnementale), qui garantit notamment que la moitié du passage des produits phytosanitaires a été produite par rapport à la moyenne locale.

« Aucune variété n’a tiré son épingle du jeu »

L’été sec de 2022 a empêché la pomme de terre de pousser dans le Pays de Caux. Exemple à Goderville.

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« Fin mai, le temps est devenu fou. Le 15 juillet, nous avons vu la catastrophe se profiler. Le 15 août, nous pensions qu’il était mort. » En récoltant les derniers rangs de la récolte 2022, Frédéric Malo rembobine la saison de la pomme de terre. Comme ses voisins du Pays de Caux, cet agriculteur a vu son rendement baisser en moyenne de 30 % par rapport à une année normale. « Aucune variété ne s’est vraiment démarquée », assure le viticulteur, qui exploite une exploitation familiale avec sa femme Géraldine à la frontière de Goderville et d’Ecrainville.

Pourtant, ce coin de Normandie bénéficie du « meilleur sol de France », favorable au tubercule : un climat humide exceptionnel, sans précipitations excessives. « Cette année plusieurs phénomènes se sont conjugués : le manque d’eau, les températures élevées et les vents d’est qui assèchent les terres sans nous apporter la rosée habituelle de la Pointe de Caux », explique le producteur. Les calibres beaucoup plus faibles récoltés cette saison entraînent un déficit en pommes de terre de gros calibre, dédiées notamment à la frite. Une spécialité des Malo qui ont ouvert en 2010 leur propre atelier de conditionnement sous vide de chips crues fraîches. « Depuis 1969, nous travaillons déjà en circuit court, avec des camions, des livreurs et la logistique que cela implique. »

« Certains comparent à la sécheresse de 1976, mais on ne cultive pas les mêmes variétés »

La ferme emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes, entre culture, livraison et administration. Elle approvisionne les grandes et moyennes surfaces, les restaurants et les particuliers. « Toutes nos pommes de terre sont vendues à moins de 100 kilomètres du parc », souligne Frédéric Malo. Une proximité qui vous permet aussi de moins souffrir des fluctuations du marché mondial. « On préfère connaître des variations du un au deux dans le prix de vente, par rapport aux variations du un au huit pour l’export », estime le producteur. Sur son exploitation multiculture, typique du Pays de Caux, il cultive du blé, du lin, de l’orge, de la betterave et principalement une quinzaine de variétés de pommes de terre. Une culture en évolution. « Certains comparent cette année à la sécheresse de 1976, mais on ne cultive pas les mêmes variétés qu’alors. Les pommes de terre nouvelles chassent les anciennes, elles sont plus résistantes aux maladies, à la sécheresse, à l’excès d’eau, etc. », énumère Frédéric Malo . Il travaille « le plus possible avec des variétés locales », en lien avec la Société Industrielle Agricole du Pays de Caux (Siac) à Yvetot, producteur de végétaux, ou le Comité du Nord de Bretteville-du-Grand-Caux, organisme de recherche dédié station. avec des pommes de terre (lire ailleurs). Évoluer, c’est aussi abandonner certaines variétés pourtant plébiscitées par les consommateurs, comme la charlotte, une pomme de terre à chair ferme. « J’ai mis du temps à me décider, mais on ne le fait plus, car c’est vraiment trop sensible au manque d’eau. » A ce jour, il ne regrette pas son choix : « Avec une année comme celle-ci, on aurait eu jusqu’à 50% de rendement en moins sur certaines parcelles. »

Cultiver différemment pour être moins dépendant de la météo

Cultivez différemment pour être moins dépendant de la météo.

La profession n’a pas attendu la sécheresse de 2022 pour penser à la pomme de terre du futur. Il s’agit aussi de « répondre aux attentes sociales et économiques », précise Yves-Marie Rault, conseiller spécialisé à la chambre d’agriculture. Depuis trois ans, une trentaine de variétés sont testées localement, pour « réduire les intrants ». C’est-à-dire l’utilisation de produits phytosanitaires (pesticides) et d’engrais de synthèse. L’azote, le phosphore ou la potasse ont vu leur prix tripler depuis le début de la guerre en Ukraine. L’irrigation des terres, jusque-là réservée aux régions moins pluvieuses que le Pays de Caux, devient une préoccupation pour certains. « Mais à la pointe du Havre il n’y a pas d’eau ou il y en a très peu », précise Jean-Baptiste Lecarpentier, habitant avec son frère Anthony à Saint-Jouin, qui exclut cette option. « Nous pensons plutôt travailler sur la résilience de nos terres, avec la gestion du couvert végétal. » Une technique inspirée de l’horticulture, qui consiste à semer la pomme de terre juste après des cultures de couverture comme le blé ou les légumineuses, favorisant le stockage de l’eau et de la matière organique dans le sol.

Pour l’agriculteur, qui vend « quelques tonnes » par semaine à partir d’un distributeur automatique, les grandes surfaces ont également un rôle à jouer. « Les variétés résistantes sont moins connues. Elles ont l’air moins belles mais sont tout aussi bonnes, avec du goût. Dans notre machine, le consommateur est là. »