« Entrepreneurs, levons le tabou de l’argent ! »

Pour Marie Eloy, fondatrice de Move your box, si le tabou de l’argent n’est pas levé dès le départ, il va gêner la croissance de l’entreprise et peser sur ses perspectives de développement.

Si d’une manière générale, parler d’argent reste un tabou en France, chez les femmes entrepreneures le phénomène est largement amplifié.

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Aujourd’hui 79% des femmes créent leur entreprise sans aucun financement (source BNP Paribas). Dès lors, ils se lancent dans le projet de leur vie, pour lequel ils sont prêts à tout risquer, au mieux avec leurs économies et au pire sans apport. Car ? « Au moins, je fais ce que j’aime ! « J’ai créé mon entreprise pour le sens, pas pour l’argent. » Résultat : selon Séverine Le Loarne, titulaire de la chaire Femmes et Renouveau Economique à Grenoble Ecole de Management, 80% des chefs d’entreprise ne vivent pas décemment de leur activité.

Des freins profondément ancrés et partagés

Cela renvoie à plusieurs freins, issus d’un poids historique et culturel que les femmes portent en elles, souvent plus que les hommes :

– J’ai du mal à me valoriser.

– J’ai une idée de créer une entreprise mais je ne l’ai pas modélisée pour savoir comment gagner ma vie.

– Je ne veux pas être suspecté d’être intéressé par l’argent.

– Ce qui m’intéresse, ce sont les autres et l’aventure.

– Je ne peux pas imaginer être brillant et réussir.

– Pour moi, sens et business ne sont pas vraiment compatibles.

Moi aussi j’ai souffert de ces inhibitions à tel point que je me suis retrouvée bénévole à temps plein à l’école Montessori que j’ai fondée avec Manuella Radenne en 2011, en Bretagne. Alors qu’en même temps j’étais mère célibataire au RSA ! J’ai mis du temps à comprendre que quelque chose n’allait pas. Le fait de ne pas avoir d’autre choix m’a obligé à trouver des solutions pour arriver à « vivre de mon activité ».

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Lorsque j’ai lancé Femmes de Bretagne, réseau d’accompagnement à la création et au développement d’entreprise, j’ai rencontré des porteuses de projets et des animatrices qui étaient elles aussi convaincues que « peu importe l’argent que l’on gagne, l’important est d’être en phase avec ce que l’on faire. », même lorsque vous êtes à la tête d’une entreprise.

A leurs yeux, le crowdfunding apparaît comme le moyen le plus compatible de financer leur projet, car il fait appel à la générosité de ceux qui y croiront. Cependant, cela peut parfois être un mirage car cet outil nécessite en réalité beaucoup d’ingéniosité et d’énergie pour atteindre la quantité requise.

Les outils financiers existent !

Cependant, il existe de nombreux outils financiers pour démarrer une entreprise. Pour bien les connaître et surtout les exploiter, il est indispensable de s’appuyer sur un réseau d’accompagnement comme les BGE, les CCI, le Réseau Entrepreneuriat… Cela permet de découvrir les prêts d’honneur à taux zéro qui proposés par le Sistema Nacre, Initiative France, Réseau Entreprendre… L’accompagnement est souvent aussi la garantie d’un pronostic avéré pour obtenir un prêt bancaire et accéder aux garanties bancaires proposées par Bpifrance ou France Active qui propose une garantie spécifique pour les femmes et très protecteur.

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Indispensable, car si vous avez puisé dans vos économies personnelles ou celles de vos proches, en cas de faillite, sans garantie bancaire, tout est perdu…

Ces obstacles financiers empêchent la startup de « voir grand » car sans financement, il est difficile de construire un plan à grande échelle. Conséquence : il y a très peu de femmes à la tête des entreprises de plus de 10 salariés : seulement 14% des managers contre 86% des managers, ce qui crée un fort déséquilibre économique et social.

Si le tabou de l’argent n’est pas levé dès le début, il violera le développement de la structure ; c’est aussi difficile de parler d’argent avec vos clients, vos fournisseurs. Cela affecte le chiffre d’affaires, la rentabilité et fragilise l’ancrage territorial et le rôle social de l’entreprise.

Le seul vrai frein : la légitimité

Ces obstacles empêchent l’émergence de modèles féminins dans l’entrepreneuriat et renforcent dans l’inconscient collectif l’idée qu’il est difficile pour un chef d’entreprise de se permettre d’avoir de l’ambition et un impact fort.

Pour arrêter ce cercle vicieux, il est temps d’arrêter de parler du manque de confiance en soi des femmes, qu’elles n’oseraient pas, car cela ne fait que les ramener à leur impuissance théorique.

Le seul vrai problème est le manque de légitimité.

Comment se sentir légitime dans la création et le développement d’une entreprise quand on manque d’exemples autour de soi ?

En 2018, parmi les personnalités les plus populaires, la catégorie « boss » ne comprenait que 1% de femmes. Au-delà des médias, ce manque de visibilité s’observe aussi dans les congrès, les prix, les institutions…

Il suffit parfois de renverser la situation pour mieux se rendre compte du côté paralysant – « ce n’est pas pour moi » – de ce phénomène. Si les entrepreneurs présentés dans les médias étaient à 99% des femmes, et ils l’ont toujours été, les hommes se sentiraient sûrement aussi moins « capables » de voir grand.

Il est donc primordial de faire émerger des modèles féminins dans les territoires, de se permettre, grâce à l’intelligence collective, d’avoir plus d’ambitions, d’objectifs et surtout de dépasser le tabou de l’argent, encore trop ancré chez les femmes.

C’est pourquoi j’ai créé Bouge ta Boite, un réseau d’affaires basé sur l’intelligence collective et la recommandation. Chefs d’entreprise, professions libérales, conjoints collaborateurs (un par secteur d’activité) se réunissent en cercle tous les 15 jours selon un programme très structuré basé sur l’intelligence collective pour se recommander sur leur territoire et décrocher des contrats grâce aux autres L’ambition est double : d’une part, permettre aux femmes managers actives de gagner en chiffre d’affaires et, d’autre part, développer des rôles modèles.

En partant du principe que l’argent n’est pas tabou et qu’il est une énergie nécessaire pour donner de l’impact à nos idées et à nos actions, les entrepreneurs font avancer leur entreprise, leur territoire, leurs idées et l’économie. Tout le monde gagne !