Entretien | « Changement climatique : les agriculteurs doivent…

Entretien avec Jean Jouzel, climatologue, ancien vice-président scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et membre de l’Académie de l’agriculture, après un été 2022 extrême aux conséquences importantes pour l’agriculture.

Ce qui s’est passé cet été en France (terrible sécheresse, vagues de chaleur successives, incendies destructeurs…) ne vous a pas étonné… Le Giec le prévoit depuis des années ?

Jean Jouzel : Oui ! Ce que le GIEC prédit en termes de taux de réchauffement à raison de 2 dixièmes de degré par décennie, le développement d’événements plus extrêmes, plus de canicules et de périodes sans précipitations, c’est ce que nous avons observé. cet été. Le GIEC prévoit également davantage d’événements combinés de type sécheresse plus canicule très propices à la propagation des feux de forêts. Il y a eu encore une petite surprise cet été, ce sont ces records de température battus de 3 à 4°C. Le GIEC n’avait pas prévu d’aussi fortes hausses même si certains papiers envisagent des records à 50°C en France en 2050.

J’ai moi-même été surpris par les températures cet été en Bretagne

J’ai moi-même été surpris par les températures cet été en Bretagne (jusqu’à 40°C). Les Pays de la Loire ont également été très touchés. Alors oui le Giec l’avait prévu avec quelques détails. Et ce que je regrette, c’est qu’on le dise depuis le troisième rapport du GIEC.

Des étés comme ceux-ci vont se répéter, comme le dit Météo-France dans son bilan saisonnier ?

Attention, j’entends de mauvaises interprétations de ce que dit Météo-France. On ne peut pas dire que tous les étés seront désormais plus chauds que celui de 2022. Au contraire, on aura des étés plus frais et plus humides d’ici 2040. En revanche, un été comme celui de 2022 deviendra la norme en 2050. le réchauffement augmentera la fréquence des étés de ce type.

Est-ce que selon vous c’est l’été de la prise de conscience pour la France et l’Europe en général ?

Nous l’espérons! Mais c’est déjà ce que nous pensions en 2003. La prise de conscience du changement climatique naît d’événements extrêmes. J’en parle depuis 40 ans. Dans les années 90, on prêchait dans le désert. En 2003, la canicule a sensibilisé la population. Puis est venu le rapport Stern (en 2006, ndlr) qui disait en gros : « si on ne fait rien, ça coûtera plus cher que si on fait quelque chose ». Mais cela ne s’est pas traduit en action. J’espère que ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

Les agriculteurs sont les premières victimes des changements. Christiane Lambert disait le 8 août dans le JDD, « il n’y a pas de climatosceptiques en agriculture », partagez-vous cet avis ?

Nous connaissons encore des étés relativement chauds et très secs depuis cinq ans (à l’exception de 2021) avec le record de chaleur à 46°C en 2019, pourtant nous avons continué à émettre des gaz à effet de serre et à utiliser des SUV. Oui les gens sont conscients du phénomène mais ils pensent que c’est aux autres de faire les choses.

Vous partagez aussi l’opinion exprimée entre autres par la FNSEA selon laquelle les agriculteurs font partie de la solution pour lutter contre les changements climatiques ?

Pas complètement. J’en connais ! Le monde agricole a longtemps été imperméable à cette réalité du changement climatique. Ce n’est plus vrai, je l’ai vu à Angers où j’ai parlé (au Congrès International d’Horticulture) avec Christiane Lambert. Ce qui est vrai, c’est que le monde agricole est le plus vulnérable. L’agriculteur a toujours su que le climat jouera un rôle très important dans sa vie et ses revenus. Aujourd’hui on a le sentiment d’une prise de conscience du changement climatique, le scepticisme climatique ne porte plus sur la réalité du réchauffement climatique mais sur le lien avec les activités humaines. Il y a encore des gens, y compris des agriculteurs, pour qui il n’y a pas de lien entre le changement climatique et les activités humaines. Ce qui n’est pas le cas, comme l’a clairement montré le dernier rapport du GIEC.

Oui ils ont tout à fait raison ! C’est le cas de nombreux secteurs d’activité concernés par trois volets du rapport du GIEC. L’agriculture contribue aux émissions de gaz à effet de serre (12 à 13 % en France). Ce chiffre passe à 30 % si l’on inclut les aliments (y compris la transformation et le transport). Alors oui, les agriculteurs contribuent aux émissions de gaz à effet de serre, mais ils sont aussi aux premières loges des conséquences et doivent faire partie des solutions.

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L’agriculture maîtrise les terres et donc le développement des énergies renouvelables

Quelles sont les priorités à mettre en œuvre, selon vous ?

Comment ? En luttant contre le réchauffement climatique avec le stockage du carbone (avec des haies, des sols, la démarche 4 pour 1000 est une belle idée), l’agroécologie, l’élevage aussi, qui peut aider à piéger le carbone. L’agriculture peut aussi participer au développement des énergies renouvelables, à travers la méthanisation, l’utilisation du bois, l’éolien. L’agriculture contrôle les terres et donc le développement des énergies renouvelables (comme l’éolien terrestre ou le solaire). Le monde agricole a une carte à jouer.

Pour le monde agricole, c’est le court terme. Il y a un besoin d’adaptation. La prise de conscience est là. Je répète que chaque été ne sera pas comme 2022, certains seront plus frais et plus humides, mais les conditions seront en moyenne plus sèches et cela s’accompagne d’une plus grande évaporation avec des problèmes d’accès à l’eau. Il est souhaitable que l’agriculture s’oriente vers des cultures moins gourmandes en eau. C’est aussi vrai pour la viticulture.

L’agriculture a aussi un rôle à jouer dans le développement d’énergies vertes, ce qui parfois peut sembler une concurrence à la production d’aliments, comment ce conflit devrait-il se régler selon vous ?

S’adapter est une priorité, mais l’agriculture doit aussi participer à la lutte contre le réchauffement climatique

S’adapter est une priorité, mais il faut aussi participer à la lutte contre le réchauffement climatique. La France a mis en place une stratégie bas carbone avec l’ambition d’émettre moitié moins de carbone d’ici 2030. J’encourage le monde agricole à considérer cette feuille de route comme quelque chose que nous devons respecter.

Il faut respecter la législation (avec la limitation de 15% d’incorporation de cultures principales). J’ai participé à la pose de la première pierre de la première centrale de méthanisation en Ille-et-Vilaine. La méthanisation n’a de sens que si les déchets proviennent de l’élevage. Il ne faut pas faire comme en Allemagne en y mettant des cultures. Il y a aussi la question du transport.

L’élevage est accusé par certains de tous les maux et notamment de renforcer le réchauffement climatique. Les éleveurs français se défendent en mettant en avant leur modèle et notamment leur rôle dans la captation du carbone dans les prairies. Quels éléments pouvez-vous apporter à ce débat passionné aux arguments pas toujours solides ?

La méthanisation n’a de sens que si les déchets sont issus de l’élevage

Ce qui est utilisé ne doit pas venir du bout du monde. Cela nécessite d’avoir de petites unités liées à des groupements d’éleveurs. C’est une piste intéressante si on respecte la réglementation, j’y suis plutôt favorable. Mais il faut faire attention à la compétition entre alimentation et énergie. Le rapport du GIEC le souligne.

Je ne suis pas un expert, mais il faut être raisonnable. Il faut avant tout produire de la qualité. Personnellement, je mange toujours de la viande. Mais le monde agricole doit se préparer à cette idée qui fait son chemin et qui fait sens (à savoir l’idée de manger moins de viande, ndlr). Il prend de la mesure : l’élevage a sa place. Oui, l’élevage doit continuer, mais il doit être adapté aux besoins français. L’agriculture française devrait être un peu plus défendue dans les accords commerciaux internationaux. L’agriculture française souffre non seulement d’un certain désintérêt des consommateurs pour la viande, mais aussi de la concurrence de la viande sud-américaine bon marché. Les traités internationaux sont un des vrais problèmes de l’élevage français qui doit aussi s’adapter. Si vous vous opposez aux accords internationaux, vous ne devriez pas non plus chercher à exporter.