Par Denis Lherm – d.lherm@sudouest.frPublié le 2022-10-29 à 15h29
A Nérigean, l’Association d’Agriculture Paysanne de Gironde a confronté de jeunes porteurs de projet à un climatologue et un expert verger. Les perspectives ne sont pas roses
A Ambarès, Yann Fiquet travaille comme électricien la journée et cultive des arbres fruitiers le reste du temps. Il a devancé le réchauffement climatique : dans son verger urbain, créé en 2020, il n’a planté que des espèces asiatiques (Japon et Corée) : mandariniers, citronniers yuzu, feijoas, kakis. « Ce sont des arbres autofertiles, ils n’ont pas besoin de pollinisation, ils supportent de grandes amplitudes thermiques et des sols pauvres. En ce moment, tout est question d’enracinement et d’acclimatation. La vente viendra plus tard », explique…
A Ambarès, Yann Fiquet travaille comme électricien la journée et cultive des arbres fruitiers le reste du temps. Il a devancé le réchauffement climatique : dans son verger urbain, créé en 2020, il n’a planté que des espèces asiatiques (Japon et Corée) : mandariniers, citronniers yuzu, feijoas, kakis. « Ce sont des arbres autofertiles, ils n’ont pas besoin de pollinisation, ils supportent de grandes amplitudes thermiques et des sols pauvres. En ce moment, tout est question d’enracinement et d’acclimatation. La vente viendra plus tard », explique-t-il. Ses baies de goji ont été décimées par l’oïdium dès la première année. Rien ne doit le décourager : « Je suis un ultra-pessimiste du boulot, on va vers une catastrophe, mais à un moment donné il faut bouger le cul ! » »
Alexandre Mougin s’est lancé en agriculture biologique sur 6 hectares à Saint-Germain-du-Puch. Culture de légumes et d’arbres fruitiers (noix, noisettes, pommes, figues, abricots, etc.), mais le réchauffement climatique le fait douter. « Ces deux dernières années, je n’ai pas eu de récolte à cause du gel : -7°C en 2021 et -5°C cette année. Je n’avais pas prévu de protection dans mon business plan, c’est un investissement inatteignable. Si j’ai encore du gel au printemps prochain, je fermerai peut-être la porte, juste cultiver des légumes ne me laissera pas survivre. »
État des lieux sévère
Le 18 octobre, Yann Fiquet, Alexandre Mougin et une cinquantaine de porteurs de projet se sont retrouvés à Nérigean pour une conférence terrifiante sur le réchauffement climatique. Thème du jour : « Exploiter un verger sain sans utiliser de pesticides de synthèse face au changement climatique. » Dans la salle, une majorité de jeunes en reconversion invités par l’Agap (Association girondine pour l’agriculture paysanne, créée en 2007 par la Confédération paysanne) dans le cadre d’un Programme de Formation de l’Union Européenne (FEADER) et de la Région Nouvelle Aquitaine.
« Beaucoup de jeunes sont attirés par l’agriculture rurale pour des raisons économiques et écologiques. Dans 99 % des cas, ils ne sont pas issus du milieu agricole, il faut les acculturer, les aider à construire un projet agroécologique viable sans cacher les difficultés », plaide Marlène Gaspé, animatrice chez Agap.
Deux spécialistes en ont dressé un inventaire rigoureux. D’abord, Marie-Claire Sagnet, climatologue à Météo-France, avec des prévisions sombres : allongement de la saison sèche (de mai à novembre au lieu de juillet à septembre), augmentation des phénomènes extrêmes (gel, grêle, inondations, sécheresse). « Même si tout était fait pour réduire les gaz à effet de serre, cela ne se ferait pas sentir de manière significative avant 2040 compte tenu de l’inertie du climat », explique-t-elle.
« Jusqu’à 2045, c’est foutu »
Plus alarmant encore, le conseiller technique en arboriculture Benoît Piron, spécialiste de l’arboriculture bio : « Je ne veux pas être pessimiste, mais en 2045, c’est foutu ! Nous devons agir rapidement, sinon nous allons nous heurter à un mur. Les phénomènes extrêmes de ces dernières années ont été les plus frappants. Quand j’ai commencé on réussissait à corriger les effets de la grêle, les fruits pouvaient cicatriser. Maintenant, des balles de ping-pong tombent du ciel ! Les protections sont en place (filets, arroseurs, éoliennes, etc.) mais elles sont financièrement inaccessibles à la petite agriculture.
La solution, selon lui : l’entreprise paysanne qui multiplie la production sans chercher de preuve de performance, une entreprise modeste liée à une clientèle identifiée au départ. « Surtout, ne pas tout mettre sur une seule production, privilégier les variétés tardives, restaurer la biodiversité. Ça prend du temps. Il m’a fallu 13 ans pour recréer, avec des haies, des tas de bois, des ruches, un écosystème sans pesticides, même bio, qui permet d’éviter tout traitement. »
C’est le chemin de Yann Fiquet, qui a d’abord planté des haies autour de sa propriété avant de planter des arbres fruitiers « pour enrichir la biodiversité ». Mais aussi par Alexandre Mougin : une petite ferme, des légumes et des fruits, des clients réguliers (cinq cantines scolaires, une coopérative) et « le choix de vivre plus éthiquement ». Mais à la fin c’est le temps qui décide et depuis le début ce n’était pas gentil avec eux.