Il est 4 heures du matin, et il est presque l’heure de plier bagages au pavillon des marées. « C’est le creux de la vague avant la tempête » des dernières semaines de décembre, remarque Nicolas Rousseau, directeur général délégué de la Maison Blanche, veste immaculée sous le toit tendu de guirlandes lumineuses. Au plus fort des fêtes de fin d’année – qui représentent environ 15% de son chiffre d’affaires annuel – l’entreprise vend 70 tonnes d’huîtres par jour et les piles de paniers atteignent 2m.
Selon Nicolas Rousseau, l’huître de taille 3 la plus vendue a vu son prix augmenter de 5 %. La hausse flirte avec les 15 % pour les plus gros calibres, car « la chaleur a perturbé la croissance cet été ». A Noël, pense-t-il, « les gens essaieront de dire au revoir avec des produits de qualité, quitte à en prendre moins ». Ou des plus petits : le calibre « 5 à l’apéritif, c’est très bon, c’est un bonbon. La coquille est petite mais très pleine. Cela permet six, dix, douze par personne. »
Rungis, ballet de charrettes et de camions du sud de Paris, revendique le titre de plus grand marché de produits frais au monde. A 3 degrés, les artisans bouchers repartent avec des chargements de caisses de volailles. « Ils facturent pour être sûrs d’avoir des choses à vendre », explique Bruno Courillon, PDG d’Eurovolailles, « 46 ans dans le métier » et partant à la retraite le 31 décembre. L’entreprise est reprise par son fils aîné.
« Faute de grives… »
La grippe aviaire, synonyme d’abattage massif, a fait fondre l’offre de volaille. « Faute de grives, on vend des merles (…) Tout ce qu’ils nous proposent, on essaie d’acheter », poursuit Bruno Courillon, qui vante le choix « énorme » entre dindes, pintades, poules et chapons. Lui-même est un éleveur « très dindon », à mille lieues de la dinde « bodybuildée » américaine et à condition de « l’abreuver, de la serrer dans ses bras, d’en prendre soin ».
Verbe grand et feutre bleu marine dans la tête, son voisin et concurrent Gino Catena, patron d’Avigros, pointe du doigt un poulet enveloppé de rouge : « C’est bon pour quatre, cinq personnes. Tant que c’est farci, c’est super. A Avigros, la volaille est vendue « environ » 25% plus chère que l’an dernier. En termes de disponibilité, la situation est particulièrement tendue pour le foie gras.
Bruno Courillon ne perçoit que 10 % des volumes habituels : « J’essaie d’en donner à tout le monde. (…) Rationnons, rationnons. « Et le coût explose, jusqu’à +59 % sur le prix de gros, pointe le responsable du marché de Rungis, Stéphane Layani. Les grossistes parlent à la presse de hausses moins spectaculaires, mais toujours marquées (entre + 25 et + 40 %). « Les clients du restaurant ont arrêté d’en acheter car c’est devenu trop cher », explique Sacha Ravion, responsable de magasin à la Maison Masse.
L’entreprise est spécialisée dans les produits de luxe, comme la truffe noire melanosporum qui a pris « environ 30 % à cause de la sécheresse en Espagne ». Le temps aura au moins épargné le dessert. « Les clémentines sont exceptionnelles cette année », le manque d’eau a renforcé la concentration en sucre, se vantait Alain Alarcon, propriétaire de Ban Citrus. « Nous payons plus mais nous en avons pour notre argent », ajoute-t-il. Stéphane Layani est persuadé que « décembre sera très, très bon ». « Les gens ne voudront pas renoncer à la nourriture », a-t-il prophétisé.