Des marchés qui déjouent toutes les prévisions
Début 2023, les prix du gaz naturel et de l’électricité sont encore plus bas qu’ils ne l’étaient l’année dernière avant le déclenchement du conflit russo-ukrainien. Au 10 janvier 2023, le prix du gaz naturel en Europe (référence TTF, Title Transfer Facility, l’indice néerlandais utilisé pour référencer le marché européen du gaz) était de 67 € par mégawattheure (MWh) et l’électricité en France était de 102 € par MWh, contre 102 € par MWh, respectivement 309 et 710 € le 25 août. Aucune coupure électrique partielle sur le territoire français à déplorer, et le signal EcoWatt est toujours resté au vert, même lors du premier et, pour l’instant, seul temps frais de début décembre. Contre toute attente, les stocks de gaz naturel à la fin décembre étaient très élevés. Les stocks de gaz naturel en France sont supérieurs de 25 % au niveau moyen des six dernières années, alors que la France n’est plus approvisionnée en gaz russe depuis plusieurs mois. Les sobres avertissements et recommandations étaient-ils finalement justifiés ? Ou inversement, sont-elles délibérément exagérées par certains acteurs pour augmenter leurs marges au détriment des consommateurs ?
Une météo clémente
La demande de gaz naturel et d’électricité est particulièrement sensible en hiver aux conditions climatiques. Les températures bien supérieures à la normale saisonnière que la France connaît majoritairement depuis octobre ont largement contribué à la baisse des besoins énergétiques en ce début d’hiver. Une telle douceur n’a sans doute pas été prise en compte par les autorités dans leurs appels à la sobriété. Si la météo a indéniablement réduit les tensions sur les marchés de l’énergie depuis octobre, la réduction de la consommation économiquement restreinte ou « citoyenne » a évité la pénurie et apaisé les tensions sur les marchés.
Des consommateurs plus sobres
Par rapport à une période caractérisée par des conditions climatiques similaires à celles que connaît la France depuis novembre, la demande de gaz naturel et d’électricité a été plus faible. La température moyenne des deux derniers mois de 2022 est assez proche de celle des deux derniers mois de 2020 marqués par le deuxième confinement en France. En moyenne, entre novembre et décembre 2022, la consommation d’électricité et de gaz naturel est inférieure à la consommation entre novembre et décembre 2020, respectivement de 6,5 % et 10 %. Cette baisse de la consommation s’explique principalement par la hausse des économies d’énergie dans les ménages, le tertiaire, l’administration et les TPE/UKM. La baisse de la consommation d’énergie des grands industriels ne représente qu’entre 13 et 16 % de la baisse enregistrée au cours des deux derniers mois de 2022. Les plus fortes baisses de la demande de gaz naturel ont été enregistrées par les entreprises chimiques, métallurgiques et de chauffage urbain. La réduction de la demande de gaz naturel en novembre et décembre 2022 compense la perte des importations de gaz russe par gazoduc par rapport aux années précédentes. La baisse de la consommation d’électricité conjuguée à une baisse des exportations françaises d’électricité vers l’Italie et la Suisse permet de compenser la réduction moyenne de 10 GW du parc nucléaire à laquelle le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, a dû faire face entre novembre. et décembre 2022. Cette baisse de la demande d’électricité limite également la demande de centrales électriques au gaz naturel. Ainsi, malgré une moindre disponibilité du parc nucléaire, la production des centrales thermiques au gaz naturel en novembre et décembre 2022 a été inférieure à celle enregistrée un an plus tôt.
Cette embellie des marchés ne profite pas forcément à tous les consommateurs
Cependant, les conditions relativement favorables du marché de l’énergie n’ont pas automatiquement affecté les consommateurs et surtout les professionnels, dont certains ont connu de très fortes augmentations de leurs factures énergétiques. Depuis la fin des tarifs réglementés professionnels, les fournisseurs proposent des offres au forfait pour une durée déterminée (généralement un, deux ou trois ans). Le prix exclut la taxe offerte par rapport au prix du marché de gros à l’expiration du contrat ou de son renouvellement, et dans le cas d’un contrat de fourniture d’électricité, le prix dépend également du prix de l’ARENH (Accès Réglementé au Nucléaire Historique) et de la Allocation ARENH. Seuls certains grands clients industriels achètent une partie ou la totalité de leur consommation au comptant.
Prenons l’exemple de deux artisans qui signent un contrat de fourniture de gaz naturel à prix fixe pour trois ans avec le même fournisseur. Supposons que le premier contrat artisan démarre le 1er septembre 2019 avec une prolongation au 30 août 2022, le deuxième contrat artisan démarre le 1er janvier 2020 avec une prolongation au 30 décembre 2022. Le prix d’approvisionnement en gaz naturel (hors taxes et transport) de deux un contrat basé sur le « futur » est de l’ordre de 17,2 €/MWh pour le premier artisan, et de 16,3 €/MWh pour le second artisan. Le 30 août 2022, lorsque le contrat du premier constructeur a été prolongé, ce dernier a été sanctionné par une forte augmentation des prix du gaz naturel. La composante d’approvisionnement en gaz naturel fixée pour les trente-six prochains mois est désormais de 163 €/MWh, soit 9,5 fois plus cher. Le deuxième artisan, en renouvelant son contrat sur la base des tarifs du gaz naturel au 30 décembre 2022, bénéficiera du tarif réduit au prix forfaitaire de fourniture de 93,1 €/MWh, soit 40 % moins cher que le premier artisan.
Ainsi, les professionnels qui ne peuvent pas bénéficier des tarifs réglementés sont inégaux vis-à-vis de leurs fournisseurs de gaz naturel et d’électricité. Les conditions du marché au moment du renouvellement peuvent profiter à certains et désavantager d’autres. La baisse de prix actuelle favorise le renouvellement et éventuellement la renégociation des contrats des professionnels dont les fournisseurs accepteront de renégocier les prix. La renégociation de larges pans de leur portefeuille de fournisseurs de gaz naturel et d’électricité pourrait les fragiliser financièrement. En effet, résilier un contrat signé au profit d’un nouveau contrat consommateur plus favorable obligerait les fournisseurs à renoncer à leur position sur le marché à terme au risque de subir une perte importante.
Un hiver pas encore terminé
Les conditions météorologiques ont jusqu’à présent été favorables aux marchés de l’électricité et du gaz naturel. Cependant, il reste encore trois mois critiques pour le système énergétique avant le début du printemps. Le système reste donc exposé à d’éventuelles vagues de froid, comme celles qui ont frappé la France entre le 11 et le 18 décembre 2022. En l’absence de réduction de la demande, toutes les capacités de production thermique doivent être augmentées jusqu’à l’équilibre du système. Au moment où le pic de consommation est enregistré le 12 décembre à 19h30, la capacité thermique ne sera plus suffisante. Sans réduction de la consommation électrique, le RTE peut être amené à effectuer des délestages. La peur des pénuries est réelle et grâce à la baisse de la demande, il n’y a pas de délestage. Si la mise en service par EDF d’un nouveau réacteur nucléaire est une bonne nouvelle pour le système électrique français, calme et économies d’énergie sur les trois prochains mois s’imposent.