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hier à 19:21, mis à jour il y a 2 heures
Dans le collimateur de l’ouverture récente d’une information judiciaire pour « harcèlement » et « abus de biens sociaux », Hervé Legros, un promoteur de 39 ans, s’est parfois énervé à Lyon.
L’attention médiatique portée sur l’arrestation d’Hervé Legros et de sa compagne en début de semaine en dit long sur la fascination du promoteur pour sa ville natale de Lyon. Aujourd’hui dans le collimateur d’une information judiciaire pour « harcèlement moral » et « abus de biens sociaux », celui qui a fondé sa première entreprise à 20 ans, avec le seul CAP de plomberie en poche, a bondi à plus de 730 millions d’euros en chiffre d’affaires en 2021 à la tête d’Alila, sa société fondée en 2007 et spécialisée dans la construction d’HLM.
Des HLM construits par le privé
Parler d’Hervé Legros, c’est évoquer la trajectoire d’une comète, aimantée par la lumière. « Singulier », « exubérant », « talentueux », « imbuvable »… Le promoteur ne laisse pas indifférents ceux qui ont croisé sa route. En revanche, tout le monde s’accorde sur la « soif de réussite » du Lyonnais, qui fêtera cette année ses 40 ans. La success story entrepreneuriale commence donc en 2003. Après avoir ouvert deux agences immobilières en quelques mois, le jeune Hervé Legros se lance dans la promotion immobilière sur le segment de la maison individuelle, et lance sa société HPL. Une activité qui l’amène à découvrir, au milieu des années 2000, le système Vefa, à vendre en l’état futur d’achèvement. Un dispositif qui permet au bailleur d’acquérir un ensemble de logements à construire et réduit ainsi la prise de risque pour le promoteur.
« Cela lui a permis de résoudre la difficulté du financement initial, explique un ancien collaborateur. Le Vefa permet de signer en bloc et de commencer à mobiliser des fonds pour les travaux sur la base de prêts qui arrivent par tranches ». Lyon est également précurseur dans ce secteur. Le premier Vefa y remonte à 2000 dans le secteur de la Tête d’Or. Les bailleurs sociaux en font un usage particulier. « Ils n’ont plus assez de capital pour payer le prix de revient et acheter le terrain, constate un poids lourd du milieu. Dans le Grand Lyon, 75 % de la production de logements sociaux est assurée par des promoteurs ». Des promoteurs beaucoup moins pressés par la lourdeur du code des marchés publics.
«Avantage comparatif»
Dans le même temps, l’apparition de la loi SRU, qui obligeait les communes à augmenter leur parc de logements sociaux, devait être la deuxième aubaine flairée par le jeune promoteur. « Les bailleurs de fonds ne pourraient pas atteindre seuls leurs objectifs de production », abonde un conseiller métropolitain. Hervé Legros se précipite sur l’occasion. « Il a été le premier à sentir ce créneau, à s’y engouffrer pour travailler en masse sur du logement 100 % social », raconte un ancien salarié d’Alila. En 2012, « il a organisé une levée de fonds de 5 millions d’euros, et a invité plusieurs entrepreneurs de renom à le rejoindre dans son entreprise », retrace le site internet de l’entreprise. Hervé Legros n’a pas 30 ans. HPL Promotions devient Alila. Et à l’aube de sa dixième année d’exploitation, le jeune loup pèse déjà près de 75 millions d’euros.
« Il a su dégager le secteur très rapidement, abonde un élu du Grand Lyon. Il ne s’est pas focalisé sur sa région d’origine, mais sur toute la France. » « Avec le talent d’organiser son activité commerciale car c’est très compliqué de monter ces projets, explique cet ancien collaborateur. De nombreux prestataires de services doivent être mobilisés et le calendrier doit être respecté afin de livrer à temps. Les maires en redemandent. « Il avait une approche assez intéressante de l’offre de logements, avec ce dispositif Vefa qui nous permettait d’aller plus vite pour atteindre certains objectifs », se souvient Yves Blein, maire de Feyzin et ancien adjoint. Il avait réalisé deux programmes conjoints et cela avait été fait dans le bon timing par rapport à un donneur ».
Serrer les prix
Le tout avec une touche personnelle : l’importance accordée aux détails de finition. « Ce qui caractérise Alila, c’est le désir de se faire livrer la meilleure qualité possible dans le respect du milieu environnant comme les plantations, se vante un autre employé qui a aujourd’hui quitté l’entreprise. C’est là que réside son avantage comparatif dans la qualité de la livraison et l’attention particulière portée à la finition des travaux.
L’autre atout d’Alila, Hervé Legros, se dresse chez Nexity, en la personne de Géraldine Mazier. « Ça fait vraiment deux talents », lit cet ancien Alila louant le « talent exceptionnel » du partenaire du promoteur pour le repérage de terrains gratuits et pas chers. « L’astuce d’Alila, c’est de chercher des terrains en périphérie des métropoles pour profiter de la baisse des prix en optimisant les coûts de production, observe l’expert du secteur. Ils ont des bâtiments très rationnels et des coûts de main-d’œuvre très compétitifs grâce à une fonction d’achat peu coûteuse (l’approvisionnement en matières premières). Avec ce modèle, il a réussi à développer un volume incroyable en peu de temps.
Le bien et le bruit
Un volume géré avec seulement 130 salariés, souligne un acteur du secteur depuis plusieurs décennies, soulignant « les rythmes et la quantité de travail » de l’entreprise ainsi qu’un « important turnover du personnel ». Son avocat, Me Alain Jakubowicz, évoque également des « règlements de comptes par d’anciens salariés venus aplanir les choses » à l’origine des perquisitions de son domicile à Écully et du siège d’Alila dans la cité internationale.
Chantre du social, Hervé Legros, qui affiche notamment des positions en faveur de l’égalité des chances, n’en est pas moins intéressé par Ferrari. Loin de l’adage lyonnais selon lequel « le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit », sourit un élu lyonnais. De quoi attirer quelques regards en coin dans un secteur qui vit essentiellement de l’argent public. « C’est une part importante de son financement », confirme cet édile métropolitain. Et d’ajouter un euphémisme : « C’est vrai par moments que l’affichage de son train de vie pouvait créer un bouleversement avec la retenue supposée qu’on pourrait attendre de lui concernant son entreprise. »
Celui qui a la réputation d’apprécier les allers-retours vers Paris en jet « laisse un ticket incroyable pour l’OL, l’Asvel et le Racing club de France, dont il est sponsor », attaque un promoteur bien connu sur la place Lyonnaise. « Il joue avec le feu. Le trentenaire n’a en revanche pas sa carte de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) où son « modèle bloc unique » a pu décevoir. « Il n’offre pas de logement gratuit. Pour moi ce n’est pas un promoteur au sens noble du terme. Il n’y a pas de prise de risque. Quand il construit, il a déjà un client », raconte un associé. « C’est un personnage extraordinaire qui a trop de succès », lance pour sa part Me Jakubowicz, assurant l’absence de charges contre son client à ce stade après une journée de garde à vue et une audition de deux heures. Et de conclure : « A Lyon on n’aime pas les têtes qui sortent ». Pourtant, le mec n’est pas du genre à cacher ses quatre-vingt-quatorze.