dimanche 23 octobre 2022 à 11h22 • AFP
« C’est devenu très compliqué pour notre pauvre abeille… » Réunis en congrès à Quimper, les apiculteurs européens brossent un sombre tableau de leur métier, face à des récoltes de plus en plus irrégulières dues aux multiples dégradations environnementales.
« Je me suis battu pendant 30 ans pour l’abeille mais, si je devais choisir aujourd’hui, je ne sais pas si je deviendrais apiculteur », a déclaré Henri Clément, apiculteur des Cévennes et porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf ). ).
A 62 ans, Henri Clément, qui possède 200 ruches en Lozère, Hérault et Aude, n’est pas loin de la retraite. « Mais ce n’est pas amusant pour les jeunes qui veulent s’installer », se plaint-il.
Le contenu des débats du Congrès européen de Quimper en est la preuve : fièvre asiatique, varroa (un parasite), pesticides et changement climatique occupent une grande partie du programme.
« Le plus gros problème (avec le changement climatique) est le temps erratique », a déclaré l’entomologiste américain Jeffery Pettis, président d’Apimondia, une fédération internationale d’apiculteurs de 110 pays.
« Les plantes qui étaient habituées à une certaine température font maintenant face à des étés chauds et secs et il n’y a plus de fleurs », a-t-il déclaré. « Nous perdons également des ruches lors d’inondations ou d’incendies. Ancien chercheur de l’USDA, Pettis a montré dans une étude de 2016 que la qualité du pollen de la verge d’or, une plante vivace à fleurs, diminuait à mesure que les niveaux de CO2 augmentaient dans l’air.
« Nos abeilles en Amérique du Nord dépendent de la verge d’or » pour passer l’hiver, a-t-il déclaré. « Et ce phénomène peut arriver avec d’autres sources de pollen, on ne sait pas », a ajouté le scientifique.
Aux États-Unis, comme en France, de 30 à 40 % des ruches meurent chaque hiver, a-t-il estimé, touchées par les varroas, les phytochimiques et la réduction des zones sauvages.
Drones pollinisateurs
« Aujourd’hui, il y a aussi des startups américaines qui développent des drones pour polliniser à la place des abeilles. C’est complètement aberrant », a dénoncé M. Clément.
Les apiculteurs français devraient récolter entre 12 000 et 14 000 tonnes de miel cette année, contre plus de 30 000 tonnes dans les années 1990, selon l’Unaf. Et l’Europe, deuxième importateur de miel au monde, ne couvre aujourd’hui que 60% de sa consommation.
Dans le débat sur les phytoses, Jean-Marc Bonmatin, chercheur (CNRS) au Centre de biophysique moléculaire d’Orléans, a déclaré que les parasites et pathogènes des abeilles, comme les acariens ou les virus d’un varroa, ont été « favorisés par la présence de néonicotinoïdes ( pesticides) qui empoisonnent « en plus « directement les pollinisateurs ».
Interdits depuis 2018, les néonicotinoïdes ont été réautorisés en février par le gouvernement uniquement pour les cultures de betteraves. Ces substances peuvent rester entre 5 et 30 ans dans le sol, selon Bonmatin, qui a également mis en garde contre d’autres classes de pesticides comme les fongicides SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase).
Pour permettre aux agriculteurs de protéger les abeilles, le chercheur a annoncé le lancement prochain d’un logiciel gratuit appelé « Toxibee » qui permettra d’identifier rapidement des molécules moins toxiques.
« Avant de vous passer de phytos, vous pouvez essayer de diminuer son effet », a-t-il ajouté. « Parce que ce qui tue tôt ou tard les abeilles nuit à la santé humaine. Face aux sombres constats des apiculteurs, M. Pettis réitère sa confiance dans la résistance des abeilles, citant l’exemple de l’abeille noire de l’Ile-de-Groix (Morbihan) » qui survivent au varroa sans traitement ». « On pense qu’elles dépendent de nous, mais en réalité elles survivent très bien sans nous », se vante l’apiculteur entomologiste. « Et il y a encore la beauté des abeilles. C’est tellement cool de travailler avec les abeilles ! »
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