Yaël Nazé, astrophysicienne : « Les sélections des voyageurs…

La sélection de cinq astronautes de carrière de l’Agence spatiale européenne (ESA), officialisée le 23 novembre dernier, compte deux femmes. S’y ajoutent six femmes sur onze parmi les réservistes. Vers la fin du plafond de verre dans l’univers? «On note une amélioration», nous dit Yaël Nazé, astrophysicienne belge. Elle rappelle par ailleurs que « les sélections de voyageurs spatiaux sont toujours loin d’être égalitaires. Oui, il y a encore du chemin! »

Parmi les astronautes de l’ESA confirmés à Paris il y a quelques semaines, il y a, on le sait, un Belge, Raphaël Liégeois, spécialiste des neurosciences ; un médecin suisse, Marco Sieber, un ingénieur aéronautique espagnol, Pablo Alvarez Fernandez, mais aussi deux femmes : Sophie Adenot, française, pilote d’essai d’hélicoptère, membre de l’Armée de l’Air et de l’Espace, et Rosemary Coogan, astronome britannique. « Sans parler de six astronautes femmes sur onze dans la réserve… Deux élues sur cinq, six sur onze dans la réserve, ça s’arrange », observe Yaël Nazé. Même si la parité est encore loin d’être atteinte.

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Chercheuse FNRS à l’Université de Liège, Yaël Nazé est spécialiste des étoiles massives et de leurs interactions avec leur environnement. Il a reçu le prix Jean Perrin 2017 pour son travail de proximité dans ce domaine. Auteur d’une série d’ouvrages dont Femmes astronomes (Biblis, éd. CNRS, Paris) et Astronomie de l’étrange (éd. Belin), elle parle avec une verve infinie de la présence des femmes dans la science et dans l’espace, de ces plafonds de verre et d’autres obstacles invisibles qui demeurent sur la terre comme au ciel. Il détaille, avec un rare talent de conteur, la saga époustouflante de ces pionniers.

« Qui a découvert un nombre incroyable de comètes et d’astéroïdes ? Une femme. Qui a permis de comprendre comment s’organise la population stellaire ? Encore une femme. Qui a découvert la loi qui nous permet de surveiller l’Univers, qui a trouvé les phares dans l’espace, qui a compris le fonctionnement des forges stellaires ou qui a bouleversé notre vision de l’Univers ? Encore et toujours des femmes… » Vous expliquez brillamment tout cela dans votre livre Femmes Astronomes (éd. CNRS, Biblis)…

Yaël Naze. Quand on doit citer un astronome « historique » au hasard, on pense la plupart du temps aux hommes : Ptolémée, Galilée, Copernic ou, plus près de nous, par exemple, Hubble. Les femmes ont observé et étudié les étoiles depuis l’Antiquité. Pourtant, quand j’étais étudiant, je n’en avais jamais entendu parler. Je pense qu’il est important de faire enfin la lumière sur ces exploits peu connus. Leurs découvertes, toutes liées aux grands thèmes de l’astrophysique contemporaine.

Vous mentionnez un certain nombre de voyages passionnants, tant du point de vue de la recherche et de la découverte que d’un point de vue humain. Certains de ces chercheurs ont dû progresser dans l’ombre d’un homme…

Au fil des siècles, les femmes ont eu peu accès à la science en général et à l’astronomie en particulier. Les femmes n’étudiaient pas, elles devaient acquérir des connaissances, donc cela se faisait souvent en famille. Parfois les hommes avaient besoin d’aide et ainsi ils formaient des filles, des sœurs, des cousines, des épouses… Qui évoluaient alors dans l’ombre d’un homme.

Vous expliquez aussi qu’historiquement les femmes dans ce domaine ont souvent été affectées à des tâches subalternes, du moins plus ingrates et souvent monotones comme le calcul, « l’informatique ». Quelque chose de plus terne, moins brillant en quelque sorte. Cela rajoute à la fameuse charge mentale générale…

A la fin des 19ème et 20ème siècles on trouve des « ordinateurs » ou « calculatrices ». Ce ne sont pas des postes prestigieux ou bien rémunérés. Généralement, il s’agissait de femmes de bonne famille et célibataires/sans enfant (elles quittaient l’observatoire dès qu’elles se mariaient). Donc je ne sais pas si cette notion de charge mentale s’applique ici, au 19ème siècle dans ces milieux. Ces tâches ingrates, les hommes n’en veulent pas – alors ils sont soulagés de les transmettre…. Une ouverture très relative, donc. Et les femmes ne demandaient pas d’avances, ce genre de choses. Dès la fin du XIXe siècle, les universités vont s’ouvrir et intégrer des filières scientifiques dans leurs cursus. Les femmes accéderont très progressivement à l’enseignement universitaire.

Mais cela très tardivement, même au sein de certains des campus américains les plus réputés et qui se seraient imaginés précurseurs en la matière…

A Princeton, par exemple, les doctorats n’ont été ouverts aux femmes qu’en 1975. Mais d’autres universités l’avaient fait auparavant. Dès qu’elles ont commencé à les former, les femmes ont franchi le seuil et ont commencé à se faire une place.

A ce sujet, vous soulignez que les différences entre les cerveaux masculins et féminins – qui favoriseraient chez les hommes le bossu en maths ou la capacité à maîtriser l’espace, etc. – sont un mythe et dénoncent ce « neurosexisme ».

Oui, les neuroscientifiques ont depuis longtemps démystifié ce mythe, mais malheureusement, il continue de circuler.

Dans le premier chapitre de votre livre, Astronomie de l’étrang (éd. Belin), vous évoquez l’histoire des femmes dans l’espace. Le premier est russe.

Je vous renvoie ici à mon livre. C’est l’URSS qui fera le premier vol femelle (on ne parle pas de la chienne Laïka). Une victoire qui démontre l’égalité des sexes chez les Soviétiques, une égalité si bien ancrée qu’il faudra vingt ans pour avoir un deuxième cosmonaute ! En effet, en cinq décennies (avant la mission d’Elena Serova en 2014), dix-neuf femmes ont été formées pour seulement… trois enfin autorisées à voler.

La situation est donc loin d’être rose à l’Est. Les premières épreuves, destinées au simple effet de manche politique, commencent par l’analyse des fiches de différentes femmes pilotes et parachutistes, voire amateurs. Finalement, cinq femmes sont sélectionnées et atterrissent à Star City. Leurs collègues masculins ne les accueillent pas à bras ouverts, les techniciens et ingénieurs les jugent inutiles, inexpérimentés et peu pratiques dans l’armée. Mais leur entêtement pendant les essais les fait un peu changer d’avis et puis la volonté politique prend le dessus : la première femme dans l’espace doit être communiste. Donc la formation se passe bien.

La Russe Valentina Terechkova sera la première femme dans l’espace. « Une perle, d’un point de vue politique : fille d’un héros de guerre, ouvrière dans une usine textile, jolie, et bonne communiste – la bonne prolétaire à tous égards, donc, une « Gagarine en jupon » qui fait l’unanimité. C’est elle qui est partie le 16 juin 1963, et à son retour, des rumeurs négatives ont circulé sur la qualité de son vol. »

En fin de compte, bien sûr, vous devez sélectionner l’un des cinq. Janna Iorkina non seulement aime trop les chocolats et les gâteaux (sic !), mais elle rate un test dans le simulateur Vostok et rate une partie de son entraînement en raison d’une blessure à la cheville causée par un saut en parachute. Tatiana Kuznetsova est très jeune, et ils pensent qu’elle n’a pas le caractère pour résister à la pression (surtout des médias), puis elle tombe malade. Quant à Valentina Ponomariova, elle a du caractère, même trop : elle fume, jure et quitte même la base sans permission. Irina Soloviova a l’air correcte, mais s’avère peu sociable. Reste Valentina Terechkova. Une perle, d’un point de vue politique : fille d’un héros de guerre, ouvrière dans une usine textile, jolie, et bonne communiste – la prolétaire bien à tous égards, donc, une « Gagarine en jupon » qui fait l’unanimité. C’est elle qui est partie le 16 juin 1963, et à son retour, des rumeurs négatives ont circulé sur la qualité de son vol.

En tout cas la « première » est atteinte, les Américaines sont encore battues, et donc il n’y a plus besoin de filles. Les Soviétiques ont alors créé de toutes pièces une promotion féminine, pour la galerie, puis éliminé les autres… Le groupe a été démantelé, et ce n’est que deux décennies plus tard, lorsque les Américains ont sérieusement envisagé d’envoyer leur premier astronaute, que les Soviétiques organisent en urgence une nouvelle sélection, une nouvelle formation et un nouveau lancement. Svetlana Savitskaïa devient ainsi la deuxième femme dans l’espace, et la première à voler deux fois, avec des équipages mixtes !

Il ne faut pas croire que, pendant tout ce temps, il ne s’est rien passé du côté américain : il y a eu la triste aventure de « Mercury 13 ». Tout commence par une initiative personnelle lancée par un duo enthousiaste. Le médecin William Randolph Lovelace II raconte à un collègue, le général de brigade Donald Flickinger, qu’il a entendu lors d’une conférence à Moscou en 1959 que les femmes soviétiques pouvaient aller dans l’espace. Cela l’a fait réfléchir car des tests ont déjà montré que les femmes tolèrent mieux la douleur, la chaleur, le froid, la solitude et la monotonie. Bref, Lovelace se demande si les femmes ne pourraient pas passer les mêmes tests que les premiers astronautes américains – histoire de voir… et plus si affinité. Il faut dire qu’il est particulièrement bien placé pour tenter cette expérience car c’est lui qui a mis au point les tests pour choisir les premiers astronautes américains, les fameux Mercury Seven ! Flickinger fit passer une femme pilote, Ruth Nichols, devant sa base en 1959 : un petit tour en centrifugeuse, un test d’isolement, une reproduction d’apesanteur… Hélas, les médias eurent vent de l’histoire et son employeur, l’Air Force, se met en colère et interdit de tels tests à l’avenir. Dans le même temps, le magazine Look veut faire sensation en proposant quelques tests à une autre femme pilote, Betty Skelton. Il rencontre donc le Mercure 7 et quelques cosmonautes, mais il ne se fait pas d’illusions : ses résultats ne sont jamais dévoilés (ni même mesurés ?), c’est juste un coup médiatique.

Les avantages, notamment physiologiques, et ces qualités d’adaptabilité des femmes ne pouvaient donc, s’expliquer, convaincre la NASA de l’époque.

Sur un plan purement médical et objectif, envoyer des femmes dans l’espace n’en présente pas moins un certain intérêt. Mais il faudra attendre le début des années 80 (avec une sélection à la fin des années 70) pour voir la première femme dans l’espace.

Vous soulignez le rôle d’une série culte américaine qui va stimuler cette évolution…

Alors que la NASA traîne les pieds, le changement viendra d’une direction inattendue : la télévision. Au milieu des années 60, un certain Gene Roddenberry se lance dans une série spatiale. De façon inattendue, il place une femme dans le rôle de « Number One », l’officier en chef après le capitaine. Le pilote de Star Trek est fourni à NBC en février 1965, qui décline l’offre… mais veut voir une version éditée. Bien sûr, la femme qui commande sort, mais Roddenberry se plie à l’injonction en mettant son grain de sel. L’officier de communication, toujours présent à l’écran, sera le lieutenant Uhura. Particularités : c’est une femme, de surcroît une afro-américaine ! Après la diffusion de la série entre 1966 et 1968, suivie de ses multiples rediffusions, Star Trek a gagné en popularité et voir une femme dans l’espace ne semblait plus si absurde. Aussi, l’actrice, Nichelle Nichols a été activement impliquée dans les années 1970 pour changer les mentalités à la NASA. La jeune femme, loin d’être stupide, a navigué sur cette vague de notoriété pour inciter les femmes à postuler et a forcé la NASA à leur ouvrir ses portes. Il milite dans les écoles et les universités, exhortant les femmes et les minorités à ne pas hésiter à postuler à nouveau… Les femmes sont alors finalement sélectionnées en 1978 pour un nouveau groupe d’astronautes et la première d’entre elles,

Sally Ride, monte à bord de la navette en 1983. En 1999, Eileen Collins devient le premier commandant de la navette spatiale américaine et rencontre les « Mercury 13 » (enfin, les onze partis après deux morts) : ce sera la première rencontre collective pour ces pionniers !

Que reste-t-il de ces avancées ?

Eh bien, les sélections des voyageurs de l’espace sont encore loin d’être égalitaires… Oui, il y en a

encore un long chemin ! Lors de son vol, le Britannique Tim Peake a ainsi été présenté partout comme le premier sujet de Sa Majesté dans l’espace, oubliant purement et simplement Helen Sharman, une compatriote partie vingt-quatre ans plus tôt ! On peut aussi prendre le cas de l’Allemagne : onze astronautes au compteur, dont… zéro femme.

En parlant de Star Trek, vous dites que si les femmes s’impliquaient davantage dans l’écriture ou la réalisation d’histoires de science-fiction, cela aiderait aussi à changer les choses. Vous éclairez aussi le parcours de deux d’entre eux… au XVIIIe siècle.

Leurs romans n’ont pas révolutionné la science-fiction, mais il y avait deux femmes auteurs dans ce domaine au Siècle des Lumières… Deux femmes écrivains d’univers très différents imaginent un voyage interplanétaire qui allie astronomie et besoins sociaux. En 1765 et 1766, Marie-Anne Roumier-Robert publie, à près de 60 ans, Les voyages de Milord Céton dans les sept Planètes. Un jeune anglais et sa sœur explorent le système solaire. En 1783, Cornélie Wouters à l’âge de 34 ans signe Le char volant, une histoire animée relatant un séjour sur la lune. Les deux textes révèlent la naissance d’une science-fiction féministe sous les règnes de Louis XV et Louis XVI ! Pourtant, comme ces écrivains tout opposés, ces ouvrages sont encore largement méconnus aujourd’hui… Personnellement, j’ai une préférence pour la « Belge », Cornélie Wouters.

Il y a encore malheureusement trop peu de réalisatrices, notamment dans le domaine de l’anticipation.

The Scarlet Handmaid, (un roman de science-fiction dystopique de Margaret Atwood, publié en 1985), écrit par une femme, est un roman de science-fiction. Il y a de plus en plus de livres de science-fiction écrits par des femmes mais ils sont souvent moins médiatisés.

Fallait-il à l’origine être pilote d’essai pour être astronaute à la NASA comme en URSS ?

Oui, mais les femmes, même si elles se sont révélées plus douées que les hommes lors des tests, n’avaient pas accès à ce métier. Il a fallu une vraie volonté…

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L’ingénieur Joan Fencl Bowski, qui avait participé à la création de la capsule Mercury, s’est vu refuser l’accès à la base de la NASA malgré la bénédiction de son patron de lui donner un ascenseur car il n’y avait pas de toilettes pour femmes sur place.

Dans Astronomie de l’étrange encore, vous évoquez les contraintes imaginatives imposées, selon les hommes de la NASA, par la présence des femmes dans les engins spatiaux…

Quelles raisons peut-on trouver pour ne pas envoyer de filles dans l’espace ? Est simple ! Qu’il suffise de dire qu’ils ont… des besoins particuliers. Alors, commençons par le début : le petit coin. C’est un grand classique qui fonctionne toujours. Par exemple, les femmes astronomes n’avaient pas accès à l’observatoire de Monte Palomar en raison de la « salle de bain unique ». Et comme forcément, les latrines ne pouvaient pas être mixtes… Bon, bon, ce n’est pas leur faute… Cela dura jusqu’en 1965, année où Vera Rubin obtint pour la première fois le droit d’observer malgré son sexe. . J’évoque également cet épisode : l’ingénieur Joan Fencl Bowski, qui avait participé à la création de la capsule Mercury, s’est vu refuser l’accès à la base de la NASA malgré la bénédiction de son patron… Le vice-président de McDonnell Aircraft, la société où il travaillait , il a refusé de lui donner un laissez-passer car il n’y avait pas de toilettes pour femmes sur le site. Enfin, pendant des années, des ingénieurs masculins, tant soviétiques qu’américains, ont expliqué à grand renfort de schémas et de calculs savants qu’envoyer des femmes dans l’espace, non, sérieusement, ce n’était pas possible : si on avait plus que quelques heures de temps de vol, ça signifiait diviser les salles de bains… Comme le disaient les ingénieurs de Gemini : perte d’espace et de poids « sans raison ».

Ensuite, il y a la morphologie… Il faut développer des combinaisons spécifiques, ce qui représente un surcoût pour un programme spatial déjà peu libre. Alors les apprentis voyageurs se sont mis à utiliser les petits vêtements fournis à ces messieurs… Au minimum, on fait quelques corrections rapides, et c’est tout. Et tant pis s’il faut revenir à une annonce tonitruante, comme en mars 2019 : la première sortie dans l’espace 100 % féminine a alors été annulée car il n’y avait pas assez de « petites » combinaisons spatiales – c’est con, on n’y avait pas pensé pendant le communiqué de presse… Comme le dit la blague : « Pourquoi les femmes ne vont-elles pas dans l’espace ? Mais parce qu’ils n’ont rien à se mettre ! Les menstruations ont également été un problème… pour les hommes. Jusqu’à ce qu’un mâle se rende compte que la circulation sanguine et les menstruations sont deux choses très différentes et que la nature fonctionne très bien pour évacuer ce sang là quel que soit l’endroit. Aujourd’hui, les femmes astronautes ont le choix entre l’implantation d’hormones qui suppriment leurs menstruations pendant le vol ou les méthodes habituelles. Cependant, il a fallu un certain temps pour s’adapter. Sally Ride, la première Américaine dans l’espace, dit que des ingénieurs inquiets lui ont demandé si 100 roulements suffisaient pour une mission d’une semaine. Il a gentiment répondu que ce n’était pas le bon numéro… Il y a aussi du matériel à emporter. Depuis le début de la conquête spatiale, les ingénieurs de la NASA avaient conçu des kits d’hygiène personnelle pour les astronautes, avec tout ce dont ils avaient besoin : savon, déodorant, peigne, rasoir, brosse à dents, dentifrice et shampoing sec. Au début des années 80, avec le départ de Sally Ride, ils ont fait un gros effort de réflexion : si on envoie des femmes là-haut, il faut changer de trousse car qui dit femme dit maquillage, bien sûr. Bien sûr, dans leur infi No Wisdom, ils n’ont pas pensé à demander aux candidats astronautes ce qu’il en était ils pensaient ou ce dont ils avaient besoin. Ils ont fait leur choix eux-mêmes, et ces discussions entre hommes ont déterminé qu’il ne devait pas y avoir moins de quatre compartiments pour le maquillage mais pas pour la lotion hydratante « ordinaire » (ce qui est finalement assez pratique dans l’espace).

Et encore cette panoplie de tâches répétitives que nous leur réservons…

Il y a certains aspects de l’exploration spatiale où les femmes peuvent être utiles. Oui, oui… Il y a d’abord toutes les tâches annexes, nécessaires mais loin des projecteurs : calculs orbitaux, fabrication de gants, câblage électrique de précision, élaboration de recettes diététiques, secrétariat ou infirmerie.

Interrogé sur l’envoi de femmes dans l’espace, le père du programme spatial américain, Wernher von Braun, avait pour habitude de répondre : « Les astronautes sont pour et, comme mon ami Bob Gilruth (directeur du NASA Center for Human Spaceflight), il y a 110 livres (environ 55 kilos) prévus dans des réserves pour matériel de loisir. »

Vous dites aussi dans votre livre que ça va plus loin, vous faites allusion à ce côté franc et sans vergogne drôle qui est associé aux femmes.

Interrogé sur l’envoi de femmes dans l’espace, le père du programme spatial américain, Wernher von Braun, avait l’habitude de répondre : « Les astronautes sont pour et, comme mon ami Bob Gilruth (directeur du Center for Human Spaceflight de la NASA), il y a 110 livres ( environ 55 kilos) prévu dans des réserves de matériel de loisirs. Oui, si on envoie une femme dans l’espace, c’est que les astronautes s’amusent… C’est vrai que le sexe dans l’espace est scientifiquement testé : à certaines époques les vaisseaux spatiaux ont pris le dessus l’apparition de l’Arche de Noé (couples de souris, mouches, poissons, amphibiens… pour tester la reproduction et le développement des embryons dans ce milieu particulier. Mais au départ du premier équipage en 1982 mélangé (avec la deuxième femme cosmonaute, Svetlana Savitskaya), les rumeurs ne pouvaient s’empêcher de s’emballer sur les prétendus processus d’accouplement !

Aux États-Unis, on a vu une croissance régulière de la présence des femmes dans l’espace, donc ça s’est diversifié vers la NASA. Non seulement par rapport au genre mais aussi aux origines ethniques.

En termes de présence féminine ; vous dites que l’ESA est « stagnante » depuis longtemps.

Oui, aux États-Unis, nous avons vu une croissance constante de la présence des femmes dans l’espace, donc elle s’est diversifiée vers la NASA. Non seulement par rapport au genre mais aussi aux origines ethniques.

Le jour où l’on nommera une femme incompétente, pourra-t-on dire qu’on aura atteint l’égalité des sexes ?

Seulement que dans l’espace il doit y avoir l’excellence, hommes ou femmes…

Existe-t-il des tests de caractère lors du recrutement d’astronautes pour l’ESA ?

Moral non, mais psychologique oui ! (Une manière ludique de découvrir les épreuves de sélection : la BD « Dans la combi de Thomas Pesquet », écrite et dessinée par une femme, Marion Montaigne – est hilarante.)

Peut-il y avoir un soutien arbitraire et partisan dans la masse des candidatures ? Ce volume de questions garantit-il encore statistiquement que nous atteignons l’excellence ?

Il y a beaucoup de candidats. L’ESA a reçu pas moins de 22 000 candidatures, accompagnées de tests médicaux. A partir de ce nombre, après éliminations, tests médicaux, calculs, résistance psychologique, etc., on reste, de fait, dans l’excellence. La sélection finale se fait donc sur d’autres bases, où la géopolitique entre certainement en jeu, dont les nominations résultent de choix politiques stratégiques.

Vous soulignez que les astronautes sont souvent, avant tout, des communicants. Et cela ne remonte pas aux réseaux sociaux et à ces partages de photos qu’ils font depuis quelques années, comme le Français Thomas Pesquet, par exemple.

En effet, les Mercury 7 du début des années 1960 faisaient de même, dans d’autres médias à l’époque. Ils étaient partout dans la presse… Ils étaient alors tous pilotes, à part les tests qu’ils ont subis bien sûr.

Dans les traités internationaux historiques liés à l’espace, les astronautes (les états, pas les touristes bien sûr) sont qualifiés d’envoyés/émissaires de l’humanité – je pense que cela montre leur rôle d’ambassadeurs et donc le côté géopolitique et représentatif. Bien qu’ils puissent être utilisés comme cobayes ou aider à mener une expérience, ils n’analyseront pas les données, quelle que soit leur formation initiale – ce n’est pas leur rôle.

On constate des différences tout à fait inattendues dans la présence des femmes actives dans les sciences selon les zones géographiques : en Allemagne, par exemple, il y a moins de femmes exerçant des professions scientifiques.

En Allemagne, il est lié, entre autres, à l’obligation quasi morale de prendre un congé parental important après l’accouchement et au manque de crèches organisées.

En revanche, en Amérique latine, il est assez courant que les femmes entrent dans des carrières scientifiques et poursuivent leur carrière dans cette direction. Ils sont d’une grande aide, d’un bon salaire, ont accès à des services plus accessibles et peuvent faire carrière plus sereinement. En Italie, il y a beaucoup de femmes qui occupent des postes universitaires et qui sont moins bien payées.

Dans les pays de l’Est, si pour les astronautes on est très loin de l’égalité, on observe tout de même globalement une volonté de renforcer la présence des femmes dans la science, c’est un vestige de l’ère soviétique. En Roumanie, par exemple, il y a un pourcentage important de femmes astronomes.

En Belgique dans le domaine de l’astronomie (ou astrophysique) on est dans la moyenne européenne : 22% de moyenne, c’est ça.

Pas de différence entre le nord et le sud du pays ?

Non. Il s’agit d’une moyenne nationale.

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En 1994, vous avez commencé vos études d’ingénieur, des filières qui ne comptent en moyenne que 20% de filles dites-vous.

Dans ma section, en électricité, nous étions environ 10 % de filles.

En revanche, contrairement à des disciplines comme l’ingénierie, en fait, la physique et l’informatique, l’astronomie est, soulignez-vous, assez égalitaire en termes de répartition des genres.

Pour les masters, la moitié des étudiants en astronomie sont des étudiantes. Même chose au niveau du doctorat. Cependant, quand on passe au postdoctorat, on tombe à un tiers de femmes. Dans les lieux fixes, selon les données de l’Union Astronomique Internationale, en Belgique nous ne sommes qu’un cinquième.

Cette perte de force féminine dans cette phase s’explique notamment par le maintien des comportements traditionnels au sein de la sphère privée. Pour des raisons pratiques, les femmes auraient moins d’espace pour poursuivre leurs études…

Ces postdocs se font souvent dans la trentaine et demandent une grande productivité. Souvent, ils impliquent également un déménagement à l’étranger. Les hommes sont moins disposés à suivre leurs épouses si elles déménagent.

Il y a aussi la maternité qui peut, en effet, ralentir la production.

Les obstacles, notamment internes, sont nombreux. Les séjours en plein air s’allongent. Il faut être présent aux moments clés de la vie.

Pour y remédier, faut-il multiplier les incitations, notamment économiques ou pratiques, entre aides et services ?

Le changement ne viendra pas de la science, c’est un problème social classique.

Parmi les chercheurs FNRS du même domaine, nous sommes trois femmes sur dix. Contrairement à l’Allemagne, il n’y a pas de quotas académiques par sexe ici. Mais la mixité a tendance à s’établir progressivement. Les quotas peuvent être utiles pour faire bouger les choses (voir les quotas sur les listes politiques en Belgique) mais ils ont aussi des effets pervers (en Allemagne, les chercheuses sont plus facilement éliminées des listes restreintes pour ne pas avoir à les embaucher). La question est complexe et mérite d’être étudiée.

Ce plus petit nombre de femmes a un effet pervers particulier qu’elle pointe également, la relégation des femmes à certaines missions…

Comme il y a moins de chercheuses que leurs homologues masculins, elles sont plus susceptibles de participer à des fonctions administratives en plus de leur travail quotidien.

Vous avez déjà mentionné que vous n’aviez pas été victime de sexisme en tant que tel, mais plutôt que vous avez été agressée pour avoir fait du travail de proximité. Derrière cette autre forme de sectarisme, faut-il voir du simple snobisme académique ?

Personnellement je n’ai pas eu l’impression d’être victime de discrimination sexiste. La discrimination que j’ai subie jusqu’à présent est en fait principalement liée à la vulgarisation de l’astronomie à laquelle je suis lié. Quand mon premier livre est sorti certains collègues ne m’ont plus salué, j’ai aussi reçu des insultes. Si un homme avait fait cette démarche de divulgation, aurait-il été attaqué de la même manière ? Impossible à dire.

Êtes-vous d’accord que les sciences exactes permettraient d’éviter la subjectivité de certaines matières comme les sciences humaines, la littérature, etc., qui renvoient à des codes sociaux. Et que ces disciplines seraient donc fondamentalement propices à une meilleure intégration des minorités – femmes, minorités ethniques, etc. ?

Non, la plupart du temps ce n’est pas une question liée au sujet. Le problème est plutôt ailleurs : dans les représentations sociales (on associe rarement les femmes et l’informatique, les hommes et les infirmiers), dans la répartition des tâches, etc. Le problème n’est pas la recherche en tant que telle, mais ce qu’il y a autour…

Astronomie, dites-vous, « ce sont de grandes questions philosophiques. Cette affaire n’a pas de sexe. Et l’acceptation future dans l’espace de toutes les identités, transgenres et non, comme c’est déjà le cas, par exemple, dans certaines armées ?

Il arrivera, au moins dans nos pays. A terme, il ne sera plus question, que ce soit dans l’espace ou ailleurs. Cela dépendra de la rapidité avec laquelle la société dans son ensemble progressera sur ces questions.

Plus généralement, comment parvenir à une parfaite égalité de représentation des genres dans l’espace et la science ?

Pour les astronautes la question est géopolitique, ou financière pour le tourisme spatial, évidemment je n’y peux rien. En ce qui concerne les aspects scientifiques que nous avons mentionnés, il devrait y avoir une bonne formation scientifique dès l’école primaire. Il faut aussi veiller à entretenir cette curiosité et à la préserver pour la vie. Les musées des sciences ont fait beaucoup d’efforts ces dernières années, ils ont de plus en plus d’experts notamment.